La Maîtresse de Français PDF Imprimer
Écrit par G.R.   
Samedi, 04 Décembre 2010 14:53

NOUVEAU : Le livre est paru : Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.

En 1879, Lucille Coilly fut engagée par Mrs Anna L. Comegys comme maitresse de Français pour sa "maison d'éducation" de Chestnut Hill près de Philadelphie avec des appointements de 1750 francs par an et défrayée de tous voyages payés à part.  Elle remplaçait au pied levé une autre élève sans doute défaillante de la classe de Madame Simonot à Rethel. C'est l'année où les sœurs Bell (Jane Irwin et Anna Lorraine ép. Comegys ) après bien des malheurs,  fondaient une institution pour jeunes filles des meilleures familles américaines qui allait devenir plus tard Springside School : un établissement moderne d'éducation couvrant tous les niveaux de l'école élémentaire au lycée.

Ce séjour fut le prétexte à de nombreuses  lettres à ses parents, ainsi qu'à un journal intime épistolaire où elle s'adresse à des amies sans doute imaginaires. Elle y décrit les voyages,  le contraste des climats et celui des classes sociales, une chronique de Chestnut Hill et des mœurs de la bonne société américaine.

Lucille y décrit la population ouvrière de Liverpool : " ce qui m'a le plus frappé c'est la pauvreté figurez-vous que les gens pauvres ont le même costume que les gens riches mais arraché, fripé sale dégoûtant  ; ainsi vous ne verrez pas une femme sans chapeau

si on peut donner ce nom à cette loque repoussante qu'elles ont sur la tête, ainsi vous voyez une balayeuse une marchande de pommes avoir les pieds nus,  une robe de mousseline blanche à fleurs bleues où de grenadine noire, un tablier de toile qui jadis a dû être blanc car tous ceux que j'ai vu n'étaient pas touchables avec des pincettes,  un châle ou plutôt un morceau de châles et un chapeau voilà l'accoutrement ; pour les hommes ils ont  des habits noirs qui n'ont plus ni manches ni cols et des espèces de pantalon à pieds d'éléphants"

 

La vie pendant la traversée : "la présentation eut lieu, cette demoiselle parlait parfaitement le français -elle a habité Paris pendant deux ans - nous causâmes environ une heure puis elle me présenta à son frère un jeune homme d'une trentaine d'année s'exprimant très élégamment en français et qui sur le champ me demande la permission de me servir de cavalier ; et mon ministre (pasteur), je ne voulais pas faire d'impolitesse aussi étais-je bien ennuyée ; mais ces Messieurs s'arrangèrent ; le ministre serait de la promenade du matin et du soir ce serait Monsieur Abbott, moi j'étais enchantée de parler français aussi acceptais-je tous les arrangements ; le mercredi, le soleil se leva pour la première fois et les dames sortaient toutes de leurs cabines car le capitaine avait déclaré que l'on ne déjeunerai pas si toutes les dames ne venaient pas à table. Il fallut me décider à y faire mon apparition, je mangeai un peu c'était déjà un progrès ce jour là je fus présentée à presque tous les Messieurs qui ensuite me présentèrent aux dames. Alors ma vie changea ; autant elle avait été triste et seule, autant elle fut gaie ; du moment que l'on m'eut vue au bras de Monsieur Abbott, je fus considérée comme l'égal de tout le monde  on me choyait, on me gâtait ; il n'y avait pas une partie que je n'en sois ; toutes ces dames avaient des chaises longues exprès pour le bateau, on m'en offrit."

ou bien encore la pratique scolaire dans l'institution : "Mademoiselle m'a donné ce matin l'emploi de mon temps : depuis 9 heures jusque 3 heures je n'ai pas une minute, on ne mange pas avant. C'est l'heure du second déjeuné ; je trouve que c'est long sans manger, mais enfin il faut que je m'y habitue. À trois heures les leçons sont finies. On dîne et alors toutes ces demoiselles changent de toilettes, puis on se promène jusque 5 heures. Alors études jusque 6 heures. Je ne puis vous dire davantage car je n'en suis encore qu'à mon premier jour à cette heure-là. Tout le temps de mes leçons, je passe d'une classe dans l'autre, le Français est autant étudié que l'Anglais, si ce n'est plus et toutes l'apprenne depuis les petites jusqu'aux grandes. Il y a une quinzaine de pensionnaires et à peu près autant d'externes. Mademoiselle Comegys a déclaré que les pensionnaires à tables ne devaient parler que le Français ainsi qu'au salon car ici toutes les élèves restent les trois-quart  du temps au salon avec ces dames. "

Le style épistolaire est proche d'une narration orale agréable à lire, le récit montre son engagement et une personnalité au caractère bien trempé. À 17 ans,  Lucille, guidée par son ambition,  y fait part de son engouement pour cette aventure et des désillusions d'une adolescente jetée dans une société sans réelle compassion.